Une nuit d'été chaude dans une tour d'habitation, au milieu d'une cité quelconque. Comme tous les soirs, sous sa douche, Vanina ne se souvient plus de ce qu'elle a fait de sa journée. Pierre, qui la voit de sa fenêtre, aimerait tant l'embrasser. Quand au concierge Lemonnier, il voudrait bien savoir, de son sous-sol, pourquoi l'eau ne monte plus au-delà du septième étage. Un immeuble, un ascenceur, une fuite d'eau. Comme un scénario bien rodé, tous les jours Vanina rentre de son travail, prend une douche, boit du cognac et s'endort sur le canapé. Profitant de son sommeil, sa colocataire Fatima reçoit son amant toutes les nuits, en cachette de Vanina. Ce jour-là pourtant, tout se dérègle. Une étrange tempête se déclenche dans les couloirs de l'immeuble. Entre rêve et réalité, entre passé et présent, entre dialogues et narration, le destin tumultueux de ces personnages se délie dans un tourbillon chaud.

Un récit où s’entrecroisent obsessions, chimères et fantasmes. Les comédiens se frotteront à des personnages entraînés dans une course effrénée, véritable chassé-croisé autour d’un désir inatteignable, et se laisseront aller aux mains inspirées du metteur en scène d’origine roumaine, Theodor Cristian Popescu. Cet artiste singulier s’impose par son regard atypique au cœur de notre culture et par son talent de créateur au sens poétique indéniable. Une vision du théâtre forte et nécessaire.

Histoire racontée à une vitesse foudroyante, Une nuit arabe est le réel et le quotidien qui valsent avec le fantastique et l’allégorie. Roland Schimmelpfennig, auteur allemand marquant de sa génération, transforme le récit en une suite de croisements de mots et d’images pour donner à l’histoire une allure cinématographique. Un texte prenant, véritable descendance des Contes des mille et une nuits, qui nous plonge dans un imaginaire fulgurant.

Les Noctambules (activité gratuite)
Discussions animées par Marie-Louise Arsenault
après la représentation du jeudi 25 janvier 2007

Texte
Roland Schimmelpfennig

Traduction
Johannes Honigmann
Laurent Muhleisen

Mise en scène
Theodor Cristian Popescu

Avec
Simon Boudreault, Evelyne Brochu, Guillaume Champoux, Gaétan Nadeau, Cristina Toma

Concepteurs
Manon Bouchard
Magalie Amyot
Ginette Grenier
Marc Parent
Michel F. Côté

Une coproduction du Théâtre de Quat’Sous et de la Compagnie Theodor Cristian Popescu

Du 22 janvier au 24 février 2007
Billetterie : 514-845-7277

 

par Aurélie Olivier

NUIT ARABE

Par Aurélie Olivier

Disons-le tout de suite, Une nuit arabe, de Roland Schimmelpfennig est plus un conte métaphorique qu’une pièce de théâtre au sens où on l’entend habituellement, et son propos relève plus de la suggestion que de l’explication. C’est un exercice de style aussi, par certains aspects.

Au départ, il y a un problème d’eau. Au-delà du 7e étage d’une quelconque tour d’habitation, les locataires n’ont plus d’eau courante. Le concierge de l’immeuble, Jacques Lemmonier (Gaétan Nadeau) cherche la fuite, ce qui le conduit à rencontrer les habitantes de l’appartement 732, Vanina Derval (Evelyne Brochu) et Fatima Mansour (Cristina Toma). Vanina, qui a encore oublié ce qu’elle avait fait de sa journée, s’est endormie, et Fatima attend son amant, Khalil (Simon Boudreault). Un habitant de l’immeuble d’en face, Pierre (Guillaume Champoux), qui a observé Vanina pendant qu’elle prenait sa douche et rêve de l’embrasser, finit par les rejoindre. Et puis, tout se détraque. La réalité cède la place au rêve, les décors familiers se désintègrent et les personnages, qui ne reconnaissent plus rien autour d’eux, se laissent guider par leurs pulsions et réalisent leurs fantasmes, chacun de leur côté.

D’un bout à l’autre de la pièce, les personnages nous racontent ce qu’ils voient, ce qu’ils sentent, ce qu’ils font. Cette verbalisation permet une grande liberté dans la mise en scène. Le spectateur est ainsi invité à croire ce qu’on lui dit, plutôt que ce qu’il voit, et à imaginer ce qui lui manque. Ainsi, un recoin sous l’escalier devient l’ascenseur, une lumière rouge figure le sang, les comédiens montent l’escalier quand ils sont sensés le descendre, les portes sont imaginaires, les différents lieux sont décrits sans être jamais montrés… C’est là la magie du théâtre! À la longue cependant, cette surabondance de descriptions, d’explications, de mots que nous ne devrions pas entendre est étourdissante, pour ne pas dire assommante. Peut-être est-ce là l’effet recherché, le spectateur étant aussi désorienté que les personnages qui évoluent sous ses yeux. S’y ajoute une bande sonore lancinante mêlant le bruit de l’eau qui coule, la musique électronique envoûtante et les hurlements des loups. Le découpage des monologues des personnages en petits bouts de phrases syncopés achève de nous faire tourner la tête.

Dans ce contexte, les performances des comédiens méritent d’être saluées, car ceux-ci n’ont pas la tâche facile. Ils s’interrompent sans cesse les uns les autres, nous livrant quelques mots avant de céder leur place à un autre, puis, reprennent quelques minutes plus tard là où ils s’étaient arrêtés, en ayant bien évidemment dû conserver l’état intérieur dans lequel ils se trouvaient au départ. Pas une mince affaire. À part Gaétan Nadeau, généralement peu convaincant et n’arrivant pas à choisir entre l’accent québécois et l’accent « international », tous s’en sortent remarquablement bien. La mise en scène de Theodor Cristian Popescu, aidée en cela par un décor à trois niveaux (Magalie Amyot) possédant de multiples recoins, parvient habilement à faire cohabiter sur la scène des personnages qui vivent leur histoire chacun de leur côté, se projetant dans des lieux différents.

Une nuit arabe est en effet une sorte de conte fantastique, vécu et raconté, en parallèle, de cinq points de vue différents. Cinq solitudes, en fait. Insatisfaits de leur vie, de leur identité, les personnages se projettent dans un autre univers, plus exotique, rempli de leurs désirs inavoués. Comme dans les contes des Mille et Une Nuits, après le coucher du soleil, la sensualité, l’érotisme et les fantasmes règnent en maître, pouvant procurer une forme de bonheur et de jouissance, mais pouvant aussi entraîner des malentendus, de la violence, de la douleur.

Les amateurs de métaphores, de symboles et d’onirisme seront sans doute séduits par Une nuit arabe et auront de quoi alimenter de longues nuits de réflexion pour tenter décrypter le propos de l’auteur et d’analyser les allusions à la tragédie grecque. Les rationnels qui attendent d’une histoire un début, un milieu et une fin feront cependant mieux de s’abstenir.

25-01-2007