Du 20 février au 17 mars à la Salle intime du Théâtre Prospero, Absolu Théâtre présente MacbeTT, une des dernières pièces d’Eugène Ionesco, ce grand maître de l’absurde. Une satire grinçante du Macbeth de Shakespeare, ou l’humour côtoie le tragique; une pièce qui trouve un écho troublant aujourd’hui, dans sa description du pouvoir et des ravages de l’ambition. Après une incursion poussée dans l’univers de Beckett, l’équipe d’Absolu Théâtre poursuit son exploration du répertoire contemporain en abordant cette fois l’absurde de façon engagée.       

Pour donner corps à l’histoire tragi-comique de MacbeTT, des acteurs souples et énergiques, capables de passer du drame au burlesque en un clin d’œil : Marie-Ève Bertrand (Lady Duncan, Lady MacbeTT et la 1e  sorcière), François-Xavier Dufour (Banco), David Laurin (Candor), Serge Mandeville (MacbeTT), Olivier Morin (Glamiss et la 2e sorcière) et Stéfan Perreault (Duncan).  

Nouveau co-directeur artistique d’Absoluthéâtre (avec Serge Mandeville), Renaud Paradis assure la mise en scène. Dès sa sortie de l’École Nationale de Théâtre du Canada en 1999, Renaud Paradis  s’est rapidement taillé une place dans le cœur du public autant sur scène qu’au petit écran. Comédien polyvalent, on l’a remarqué entre autres dans Les Parapluies de Cherbourg (mise en scène de René-Richard Cyr), les Feluettes (m.e.s. de Serge Denoncourt) ainsi que dans Les Joyeuses Commères de Windsor (m.e.s. d’Yves Desgagnés), dans un rôle qui lui a valu le prix de la relève Olivier Reichenbach du TNM. À la télévision, il incarne depuis 2002 le rôle de Laurent Trudeau dans le téléroman l’Auberge du chien noir. On l’a également vu dans les séries États Humains, Duceppe ainsi que dans le téléfilm Bilan. Il fera bientôt ses débuts au cinéma dans le film de Denys Arcand, l’Age des Ténèbres. Pour sa première mise en scène avec Absoluthéâtre, il s’est entouré d’une solide équipe de concepteurs : Mélanie Fortier à l’assistance à la mise en scène et aux éclairages, Sarah Heitz-Ménard et Carol Eveno aux décors et aux costumes, ainsi que Josianne Laberge à la conception sonore.

Depuis sa création en 1998, la compagnie Absolu Théâtre a présenté près d’une dizaine de pièces, parmi lesquelles Crime et  Châtiment de Dostoïevski (Théâtre Denise-Pelletier), Oh les beaux jours de Beckett (Théâtre Prospero) ainsi que les créations des textes de Serge Mandeville, auteur maison de la compagnie. Absolu Théâtre s’est également donné comme mission d’offrir, à chaque spectacle, des billets à une partie de la population qui n’a pas l’habitude ou les moyens d’aller au théâtre (maisons de jeunes, centre pour femmes en difficulté). Dans un proche avenir, l’équipe d’Absoluthéâtre souhaite instaurer le principe d’alternance des spectacles, qui lui permettrait de présenter le plus longtemps possible les pièces qui sont bien reçues, tout en continuant son exploration du répertoire théâtral en parallèle.

(communiqué d'Absolu Théâtre)

Texte
Eugène Ionesco

Mise en scène
Renaud Paradis
Serge Mandeville

Avec
Serge Mandeville
François-Xavier Dufour
Stéfan Perreault
Marie-Ève Bertrand
Olivier Morin
David Laurin

AbsoluThéâtre

Du 20 février au 17 mars 2007, 20h15
Suppl. 21-22-23 mars 2007
Billetterie : 514-526-6582

Régulier 21$
Carte Première : 10,50$
Période Première : toutes les représentations

 

par David Lefebvre

Ce sont les événements qui règnent sur l'homme...
- MacbeTT
« [...] Le comique étant l'intuition de l'absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Le comique n'offre pas d'issue
. »
Eugène Ionesco, Notes et contre-notes

Eugène Ionesco, ce maître de l'absurde comme on le surnomme parfois, n'a pas connu la gloire immédiatement, malgré la notoriété qu'on lui connaît aujourd'hui partout à travers le monde. La création de l'une de ses premières pièces, La cantatrice chauve, en 1950, est accueillie froidement et déroute les critiques plutôt conservateurs de l'époque. Les spectacles s'enchaînent : Les chaises, Victimes du devoir, Amédée ou Comment s'en débarrasser mais les bancs des théâtre restent vides. Pourtant, un petit public se forme, qui acclame l'homme pour son humour né de l'absurde et son avant-gardisme dans l'absence d'intrigue, son «langage dégradé» et ses nombreux non-sens. C'est grâce à Rhinocéros, mis en scène par Jean-Louis Barrault en 1960, que Ionesco connaît enfin la consécration. Notons quand même quelques autres titres importants à son répertoire : Tueurs sans gages, Le Roi se meurt, La soif et la faim et Jeux de massacre, tous écrits entre 1959 et 1970 - l'année où il est admis à l'Académie française. C'est en 1972 que l'auteur s'attaque à la satire d'une des plus grandes oeuvres de Shakespeare, MacbeTT. Pouvoir, ambition, vengeance, fatalité, mais surtout absurdité et non-sens du monde, absurdité des relations humaines et de l'ambition outre-mesure et absurdité de l'existence qui ne tient souvent qu'à un fil.

La mise en scène de Renaud Paradis, aidé par Serge Mandeville, est énergique, dénonciatrice et joue beaucoup avec le potentiel comique qu'offre la pièce, avec un peu d'imagination. Par exemple, les deux T du nom du personnage principal sont prononcés, ce qui donne sensiblement Macbet-te-te - déjà on ne peut s'empêcher de rire. Très moderne et très politique internationale, on décèle rapidement ce qui a pu inspirer l'équipe d'Absolu Théâtre : les États-Unis, Guantanamo, l'Irak, l'Afghanistan... On y ajoute même quelques clins d'oeil publicitaires et télévisuels forts efficaces qui accentuent l'adaptation de cette pièce d'Ionesco - une conférence de presse, un bulletin de nouvelles, une parodie d'une émission matinale de Radio-Canada ou l'explication d'une des intrigues du spectacle, un peu à la manière du théâtre de marionnettes Foufoune et Patachou de Marc Labrèche. Les différents comédiens, au talent indéniable, passant, en une réplique, du comique au tragique, et vice versa, dégagent une énergie folle. Marie-Ève Bertrand, qui joue Lady Duncan, Lady MacbeTT et la première sorcière, réussit à être tour à tour solennelle, impitoyable, charmante, séductrice, victime. Sa magnifique voix basse se transforme facilement en un son grinçant et aigu pour incarner une sorcière de contes de fée. François-Xavier Dufour (Banco) et Serge Mandeville (MacbeTT) performent individuellement mais forment aussi un excellent duo. Comme le texte est formé de plusieurs répétitions de monologues, ils réussissent à garder la même forme en glissant quelques traits de caractère typiques à leurs personnages respectifs. Olivier Morin incarne bon nombre de personnages, dont Glamiss, ainsi que le fait David Laurin (Candor, entre autres). Le roi Duncan est ici l'antithèse de ce que Shakespeare a pu imaginer : fourbe, peureux, avare, égoïste, un tantinet gay, il est magnifiquement interprété par Stéfan Perreault. La gestuelle de chacun est étudiée, pratiquée, éprouvée. Sans tomber dans le burlesque total, la caricature grotesque ou encore la comédia, elle est souvent la cause des rires du public. Parlant de celui-ci, il n'est pas en reste : dès le départ, il est convié à répéter le rôle du peuple, à scander des paroles (Vive MacbeTT!) ou à applaudir. Mis à part l'intégration de la petite foule du Prospero au processus créatif du spectacle, cet exercice (qui aurait pu être davantage poussé, surtout à la fin du spectacle) est aussi une dénonciation de l'inertie des gens qui finalement agissent comme la majorité et ne se questionnent pas.

La troupe compose admirablement bien avec l'exiguïté de la salle. On se change sur scène ou derrière des rideaux translucides, en arrière-scène, qui sont très bien utilisés tout au long de la pièce. Les éclairages orangés et bleutés de Mélanie Fortier, sont tantôt englobants, tantôt spécifiques. On crée avec peu de moyen une tempête de tous les diables, des effets simples mais efficaces de spectres ou de sensation de guerre... La bande son de Josianne Laberge joue un rôle particulier : son sens tragique, avec les emportées lyriques, pousse le ton dramatique vers l'absurde - à l'image de tout le spectacle. Carol Éveno s'occupe des décors (qui se résument par les rideaux rapportés précédemment), des costumes (modernes et bien choisis) et des accessoires, qui ressemblent à ce que la troupe française Théâtre 13 avait employés lors de leur création de Macbett, à Paris, en 2005, soit des tables basses et des chaises rouges qui dépassent le rôle de leur fonction originale.

La deuxième partie, qui assume plus concrètement son côté comico-absurde, est légèrement plus intéressante que la première. Une scène en particulier vaut le coup d'oeil, car on y retrouve tous les styles de la pièce, soit celle du dîner de la rébellion, mettant en scène MacbeTT et Banco qui désirent s'approprier le pouvoir. Elle se passe dans un restaurant ; les deux compères reprennent mot pour mot le discours des gens contre qui ils ont combattus, en début de spectacle, pour protéger et servir l'Archiduc. Le comique et le tragique se croisent et l'absurde fait son apparition quand le serveur doit improviser une fenêtre, lorsque Banco se lève pour y jeter un coup d'oeil. Ces quelques moment provoquent le rire sans condition.

Grâce à la performance de tous les acteurs, aux différentes idées ajoutées au spectacle et à une mise en scène soignée et bien orchestrée, qui s'éloigne de la tragédie élisabéthaine pour embrasser un humour et des dénonciations actuelles, personnelles et engagées, MacbeTT plaît à coup sûr et nous fait passer un moment très agréable et amusant.

24-02-2007