Chroniqueur d'humeur pour «Le Journal», Daniel Martin est plongé dans un profond coma suite à un accident. Était-ce un accident d'ailleurs? Entre réalité et rêve, entre tous les hommes qu'il a été et veut devenir, ce moment devient l'occasion d'un véritable bilan et le moment de rompre avec son cynisme.

Reconnu pour son imaginaire débridé et sa capacité à aborder des thèmes graves avec sensibilité et humour - rappelons-nous de Quelques humaines, Le rire de la mer et Mille-feuilles écrits au sein des Éternels Pigistes - Pierre-Michel Tremblay nous emmène dans l'univers intérieur d'un homme qui tente de recoller les morceaux d'une vie qu'il n'est plus certain d'avoir choisie. Bienvenue au cabaret de la vie!

De : Pierre-Michel Tremblay 
Mise en scène : Denis Bernard 
Avec : Félix Beaulieu-Duchesneau, Benoît Gouin, Louise Laparé, Steve Laplante, Phillipe Racine et Marie-Hélène Thibault
Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort 
Décor : Olivier Landreville 
Éclairages : André Rioux 
Costumes : Mérédith Caron 
Musique originale : Ludovic Bonnier 
Accessoires : Patricia Ruel 

Une production du Théâtre de La Manufacture

Du 9 janvier au 17 février 2007
Billetterie : 514.523.2246

 

par David Lefebvre

Diplômé en psychologie, Daniel Martin, de par son sens de l'humour cynique et punché, devient chroniqueur d'humour pour le Journal. Il accepte très difficilement son récent divorce, sinon pas du tout, et s'ennuie de sa fille de 8 ans, Béatrice. Désillusionné, morose, blasé, Daniel est victime d'un accident, qui aurait pu lui coûter la vie et qui le plonge dans un coma profond. Maître d'un nouvel environnement, Daniel confronte alors Marjorie, son ex-femme, Bertrand, un vieil ami d'enfance et défenseur du "mâle" qui sommeille en nous, retrouve sa mère et rencontre quelques personnages étonnants (dont une idole de jeunesse et son guerrier intérieur). Il se questionne enfin, librement, ressasse quelques moments de sa vie et cherche son identité et sa raison de vivre.

Pierre-Michel Tremblay, auteur des magnifiques Quelques humains, Le rire de la mer et Mille-feuilles, dépeint avec humour, sensibilité et virtuosité le portrait d'une société terriblement actuelle : la place des hommes-maris-pères, les différents modèles, la performance absolue, l'accomplissement personnel, le contrôle sur notre vie et sur ce qui nous entoure, la désillusion, les pressions sociales et individuelles, la dépression et l'incompréhension mutuelle par la difficulté de communiquer réellement nos sentiments et nos pensées. Denis Bernard a donc eu la brillante idée de mettre en scène ce Daniel dans un format "cabaret", musiciens, microphones, gestuelles et numéros comiques inclus. Il y a même quelques petites tables rondes dans la première partie de la salle. Lui qui rêvait de fouler les planches, summum de sa réussite professionnel et fantasme inavoué, peut enfin y goûter : Coma Unplugged! Accueillons Daniel Martin!


Crédit photo : Marlène Gélineau Payette

Tout d'abord, la scénographie d'Olivier Landreville propose une chambre d'hôpital, à l'effet de profondeur très réussi, où repose le personnage principal. Puis, le décor recule littéralement pour offrir un minimum de place, à l'avant-scène, pour ainsi créer cet espace stand-up aux boules miroir et éclairages typiques (projecteur, couleurs rouge et orangée) admirablement bien conçus par André Rioux. Félix Beaulieu-Duchesneau (méconnaissable) et Ludovic Bonnier jouent les musiciens-accompagnateurs ; c'est d'ailleurs Bonnier qui signe la musique, parfois d'une étrange beauté, sinon toujours intéressante.

Louise Laparé, qui fait une courte apparition, interprète la mère du personnage principal. Attachante, volubile, elle vient répondre à certains questionnements sur le passé de Daniel et sur sa propre vie de divorcée. Le divorce est un des thèmes récurrents, sinon le sujet le plus abordé de la pièce : une des seules choses que Daniel n'a jamais voulu ni choisi dans sa vie ; un échec. C'est Marie-Hélène Thibault qui joue le rôle de Marjorie. À la fois la muse et l'une des sources de conflit, elle réussit à faire balancer son personnage entre la Marjorie-fictive, qui entre dans le concept cabaret d'humour, et Marjorie-réelle, émotive et véritable. Philippe Racine interprète ce soldat intérieur, Ishouad, qui nous parle d'ancêtres, de poésie, de la relation que nous avons avec la société de consommation et la luxure versus la misère et la pauvreté. Benoît Gouin incarne Bertrand, l'Homme, celui qui aime le baseball, qui crée son propre Father for justice (appelé Testostérone Power) et se bat contre les femmes "en général". Même si le personnage est caricatural et nous fait souvent rire, son côté accapareur, ses réflexions et ses actions représentent une certaine partie de la population (et une part de nous tous). C'est l'excellent comédien Steve Laplante qui détient le rôle principal. Son Daniel est aussi désabusé que possible, cynique, lucide, dépressif, indifférent. Mais l'on arrive à deviner ce qui se cache derrière cette carapace de chroniqueur : une tendresse perdue, une certaine poésie, des rêves inachevés.


Crédit photo : Marlène Gélineau Payette

Par ses multiples rencontres et remises en question, au-delà du rire et du spectacle, Daniel devra pourtant décider s'il se bat ou non pour rester en vie. Comprendre finalement où il en est, avec ses proches et sa propre existence. Il est si facile de rater sa vie, selon les normes occidentales. S'accomplir réellement et totalement, est-ce une tâche impossible de nos jours? Qui ou que nous reste-t-il pour nous empêcher de partir, quand on a tout perdu?

11-01-2007

 

commentaires, critiques? info@montheatre.qc.ca

de M. Yves Rousseau

Ainsi, l'auteur Pierre-Michel Tremblay aborde le spleen existentiel d'un gars désabusé, tel qu'exposé ci haut par David Lefebvre. Bon, le texte, c'est une chose, mais niveau mise en scène comment traiter, par quelle optique aborder matérialiser le propos ? La liberté permise par les didascalies, comme le précisais l'auteur en entretien, laissait le champs complètement libre, tout comme le sujet: à partir du moment où on passe par la proposition d'un coma et d'un univers fantasmagorique, les possibilités d'illustrations sont infinies.

Denis Bernard a donc osé, et a proposé cette approche axée sur un dantesque numéro de "stand-up" où les divers "invités" tracent la mosaïque de l'état des lieux d'une vie. En optant pour un traitement global en opposition totale avec le sous-niveau, soit un être dépressif, ayant une profonde impression d'échec, de désillusion, Bernard s'est dès lors "imposé" l'obligation de la double contrainte: au-delà de la farce, des "stepettes", simagrées et poses connues du stand-up, on sent unénorme travail de recherche, particulièrement au niveau de l'expression corporelle et du ton, ayant abouti à une quasi réécriture du propos, paradoxalement fondamentalement en harmonie avec le texte. Le jeu des comédiens, par le non-dit, les silences, les poses non-verbales souligne et met en relief l'incroyable mais pertinent cynisme festif, tragique et déjanté, une vison acerbe, acide de notre monde, surtout pour la génération "X".

Un travail majeur (vraiment !) de jeu et de mise en scène parvient à créer cet aspect naturel, coulant et d'apparente facilité du rendu. J'imagine sans peine les phases d'anxiété, de doute (est-ce le bon choix?), de recherche, de travail de jeu axé sur les doubles niveaux de communication.

Le courage et la pertinence d'un metteur en scène qui ose laisser une marque on ne peut plus personnelle avec une mise en scène qui "parle" autant que le texte, le transporte puis l'emmène ailleurs dans une belle osmose créative. Puis une fantastique équipe de comédiens chevronnés.

Bravo !