suppl. samedi 27 nov à 16h

Humour mordant et situations incongrues sont au menu de cette comédie douce-amère qui fait se côtoyer l'art et le mercantilisme, qui jette un regard malicieux et percutant sur l'amour et le couple et qui parle avec justesse de nos fuites et de nos futilités.

Un publicitaire de talent quitte son emploi pour accoucher d'un premier roman mais passe son temps à en faire la promotion au lieu de l'écrire. Sa conjointe, laissée seule, pleure la mort imminente de son père, un peintre de renom. Un ami et collègue doit quant à lui trouver LE SLOGAN qui relancera sa carrière alors que sa femme tente par tous les cours d'artisanat possible de devenir créative!

Ici, les définitions du mot «doldrum» rendent tout à fait l'éclat d'esprit des personnages : période de nonchanlance et de découragement - partie de l'océan où les eaux ne bougent pas - état d'inactivité, de stagnation, marasme.

Créé au prestigieux Abbey Theatre de Dublin en 2003, ce troisième texte de Hilary Fannin, dont l'humour sied parfaitement au style de son traducteur François Létourneau (Stampede, Cheech), met en scène les histoires amoureuses, le quotidien et les désillusions d'un groupe d'amis échoué à Doldrum Bay. Elle offre une incursion franche et amusante dans la vie de deux couples qui semblent tellement au-dessus de leurs affaires!

Texte
Hilary Fannin

Traduction
François Létourneau

Mise en scène
Philippe Soldevila

Avec
Claude Despins
Bénédicte Décarie
Gérald Gagnon
Benoît Gouin
Dominique Leduc
Dominique Quesnel

Assist. mise en scène
Audrey Lamontagne

Décor
Jean Bard

Costume
Sarah Balleux

Musique originale
Jean-François Pednô

Éclairages
André Rioux

Accessoires
Jonas Bouchard

Une production du Théâtre de la Manufacture

Du 19 octobre au 27 novembre 2004
suppl. samedi 27 nov à 16h

 

par David Lefebvre

Le Théâtre de la Manufacture n’en finit plus de puiser dans les nombreux excellents textes d’auteurs irlandais prolifiques, et ce, pour notre grand plaisir. Après Martin McDonagh et Mark O'Rowe, c’est au tour d’Hilary Fannin, jeune comédienne et auteure qui n’en est pas à son premier texte, ayant commis Mackerel Sky et Sleeping Around avant Doldrum Bay.

Doldrum Bay est un endroit qui existe vraiment, une baie parmi plusieurs qui forment la côte de Dublin. Doldrum veut aussi dire «période de nonchalance ou de découragement – partie de l’océan où les eaux ne bougent pas – état d’inactivité, de stagnation, marasme», ce qui représente bien la pièce.

Deux couples d’amis, dans le début de la quarantaine, voient leur vie leur échapper. Tentant de prendre en main leur destinée, elle s’écoule un peu comme une poignée de sable dans une main pourtant ferme. C’est donc l’histoire de Francis (Benoît Gouin), un publicitaire créatif qui prend sa retraite pour écrire un livre, mais il en parle beaucoup plus qu’il n’y travaille (un auteur fictif ou de fiction ?, comme questionne si bien un des personnages dans la pièce); sa femme, Magda (Dominique Leduc), pleure la mort prochaine de son père avec qui elle entretient une relation d’amour-haine ; Chick (Claude Despins), un ancien collègue et l’ami de Francis, travaille avec de «nouveaux jeunes» et se sent totalement dépassé. Il doit trouver LE slogan de sept lettres pour une école chrétienne qui va le remettre sur la carte (et est inquiet car son frère, un prêtre, est parti en Amérique sur un coup de tête) et finalement sa femme, Louise (Dominique Quesnel), enceinte, qui n’est pas «toute à elle» et qui tente de suivre tous les cours d’artisanat possible pour chercher sa voie créative et se sentir mieux dans sa peau. À eux s’ajoute Java (Bénédicte Décarie), une jeune sirène, serveuse, étudiante en psychologie et en herboristerie, qui représente la jeunesse (la génération 22-29 ans), et qui allume la flamme de Francis. Et Brian «Mousey» Ganon (Gérald Gagnon), publicitaire aussi, ancien étudiant de la même année que Francis et Chick, qui a un gros client (l’école chrétienne) et tente avec Chick de trouver LE slogan…

La toute première chose que l’on remarque en entrant, à part la disposition de la salle (sur le côté), est le sol de la scène, tout en sable, avec des meubles (piano, télé, toilette) à demi ou presque entièrement enterrés. Le panneau au fond de la scène représente une sorte de plage avec de petits monticules de terre. On comprend alors la symbolique derrière cette scénographie : la génération des Chick, Francis, Louise et Magda s’enlisent et tentent de se dégager du marasme d’une vie confortable mais vide. Ce sentiment ne se retrouve pas seulement dans ce qu’ils représentent mais aussi dans les dialogues : ils ont beau parler, personne n’écoute. Tout le long de la pièce, ce sont des discussions à sens unique. Même les compliments, rares, passent inaperçus. Tout est sec, même l’eau ou l’alcool, qu’on est censé retrouver dans les verres, est symbolisée par du sable. C’est la représentation d’une génération qui a tué toute foi, toute croyance et qui a créé un vide qu’ils sont incapables de remplir, même par la consommation (publicité) ou l’amour (qu’ils ne sont même pas capables de vivre pleinement). Le livre de Francis parle de Dieu et de sexe (la religion et le sexe vend toujours très bien), et le meilleur bout, selon Java, est cette scène de baise (que Francis et Magda ont vécu et dont il s’est servi pour le livre) dans le confessionnal d’une église, en signe de révolution. Même Magda, qui a lu le manuscrit, le décrit comme de la pornographie nostalgique. Tout semble dire «on était si bien en 1979»… Le quotidien paraît pourtant confortable, mais on sent qu’ils s’enlisent, qu’ils sombrent dans la dépression et qu’ils cherchent à retrouver un certain équilibre. Chaque personnage est à un tournant de sa vie, et ils savent qu’ils doivent agir ou toucher le fond. La conception de l’art et son appropriation est un autre des thèmes significatifs de la pièce qui est fort intéressant. Chaque personnage a une vision de l’art bien différente de l’autre.

Le texte d’Hilary Fannin, bien traduit par François Létourneau, est rempli de petits moments très drôles, sarcastiques, ironiques, dérisoires. Séparé en 12 scènes, dont trois monologues (tranche de vie de Magda (son père qui trompe sa mère), de Chick qui raconte son enfance malheureuse, du départ de sa mère et l’histoire de son père qui gagne sa vie dans des fêtes foraines et de Louise qui parle d’elle), Philippe Soldevila a créé un spectacle aucunement dépaysant, malgré plusieurs références étrangères. Mais le sont-ils vraiment ? Plus on explore les textes d’Irlande, plus on découvre qu’ils nous ressemblent: on parle de religion, de spiritualité, de sexualité, de culture, de violence, de modes de vie…

Sur cette petite scène, c’est un plaisir de tous les voir jouer (particulièrement Dominique Leduc dont le personnage semble s’accrocher à une certaine spiritualité pour mieux accepter le départ de son père et Claude Despins, qui habituellement joue le rôle d’un dur et qui, ici, interprète un homme qui perd confiance en lui…). La pièce nous fait rire et réfléchir sur nos propres valeurs, on regarde où on en est dans notre propre vie et ce qu’on laisse derrière nous.