Un humoriste réalise un documentaire à partir de la relation d’un jeune couple, Suzanne et Pierre. Sous l’oeil indiscret de la caméra, ils se laissent aller à leurs fantasmes. Une amie de passage chez la soeur de Pierre, Millie, viendra ébranler leur relation. Comédie virulente sur la vie de cinq jeunes urbains de trente ans, cette création de Fanny Britt est un portrait lucide de la liberté, l’amour, la fidélité et l’art.

Texte
Fanny Britt

Mise en scène
Geoffrey Gaquère

Avec
Stéphan Allard, Éva Daigle, Ansie Saint-Martin, Julie McClemens, Martin Laroche

Une coproduction du PàP et du Théâtre de la Bordée

À Montréal, Espace GO
Du 17 octobre au 11 novembre 2006
Billetterie : 514-845-4890

À Québec, La Bordée
Du 20 mars au 14 avril 2007
Billetterie : (418) 694-9721

 

par Rébecca Deraspe

Comédie virulente ou drame moderne aux rires jaunes, Couche avec moi (c’est l’hiver), puise son inspiration au cœur de la génération 25-35 ans, à l’intérieur même de leurs appartements situés sur le Plateau Mont-Royal. Le texte, signé Fanny Britt et mis en scène par Geoffrey Gaquère, croque la pomme interdite d’un sujet aux multiples branches, feuillues ou dénudées.

C’est l’hiver à Montréal. Pierre (Stéphan Allard) et Suzanne (Éva Daigle), un couple ordinaire aux rêves standardisés,sont sollicités par Hébert (Martin Laroche), un humoriste québécois très connu du grand public, pour participer à un projet multidisciplinaire sur le Couple.  Son projet est en fait un genre de télé-réalité à la sauce cheap déguisé en « œuvre » artistique respectable. Le tandem amoureux se transforme, modelé par les techniques de l’humoriste aux mains connus des grands médias. À travers leur parcours, on rencontre Millie (Ansie St-Martin), la sœur hypocondriaque et agoraphobe de Pierre, ainsi que Gillian (Julie McClemens), la jolie Britannique psychothérapeute au sex-appeal irrésistible. C’est l’hiver à Montréal et ces cinq personnages ont froid, emmitouflés dans un espèce de vide intérieur fébrile.

Le texte est provoquant, intelligent et touchant. Fanny Britt réussit à créer un univers contrasté qui mérite toute l’attention du spectateur. Le ton corrosif de l’auteure nous fait non seulement rire mais il nous fait aussi réfléchir. Présenté pour la première fois au Festival du Jamais Lu en 2005, ce texte à des assises bien solides dans notre société actuelle qui débride le sexe et qui dénude l’art. Tout est construit de façon dynamique, les longueurs ayant une place bien calculée. Une ou deux scènes sont un peu moins nécessaires au niveau de l’évolution de l’histoire mais elles restent très efficaces pour imager le propos de l’auteure. Par exemple, la scène où Hébert rencontre la directrice d’une compagnie de papier de toilette pour lui quémander une commandite n’est pas nécessaire au point de vue « récit » mais la force de l’image est tout à fait exquise. La mise en scène de Geoffrey Gaquère est indiscutablement à la hauteur du texte. La difficulté des changements de lieux, entre fantasmes et réalité, est surmontée avec une justesse vive et les mécanismes d’appropriation de l’espace scénique sont parfaitement huilés. La scénographie, conçue par Jean Bard, a un aspect froid et rigide qui est tout à fait à propos. En arrière scène, l’anti-chambre en plexiglas est utilisée tantôt comme une vitrine sur le monde, tantôt comme un miroir de ce qui se passe sur scène, enfermant les personnages derrière une froideur vitrée. Tous les autres éléments qui déguisent la scène sont mobiles, juchés sur des roulettes, permettant une multitude de mises en espace.

Les acteurs rendent les personnages tangibles, versant que très rarement dans la caricature. Ils sont ancrés et solides, sans pudeur et toujours très touchants dans leur interprétation. Ils n’échappent aucunement à l’essence de leurs personnages respectif et ce, dans un respect commun de leur travail.

Tout y est pour créer un moment de pur délice humoristique à la tonalité Fanny Britt. C’est un portrait essentiel qui se place comme étendard d’une société-télé-réalité-tout-montrer-sexualisée-individualisée duquel l’on garde, chacun à notre manière, matière à réflexion.

19-10-2006

 

par Magali Paquin

Où se trouve l’accomplissement, où se trouvent les désenchantements de l’expérience amoureuse? Dans le quotidien fondé sur la stabilité et l’engagement ou dans les fantasmes érotisés de la chair à profusion? Amer portrait de la jeune trentaine québécoise qu’est « Couche avec moi (c’est l’hiver) », une pièce de Fanny Britt, mise en scène par Geoffrey Gaguère, dépeignant les aléas relationnels de couples en mal de communication.

Mieux vaut en rire qu’en pleurer, dit-on. Mieux valait donc une comédie, aussi âpre soit-elle, que de se laisser avaler par le désenchantement. Acceptant de participer à un projet vidéo instigué par un humoriste populaire (Martin Laroche), Suzanne (Éva Daigle) et Pierre (Stéphan Allard), se voient confrontés à la banalité de leur vie de couple. Incités à extirper l’« animalité » de leurs tripes, les désirs cachés font surface devant la caméra, tandis que s’effritent les projets d’avenir communs. Si la vie de couple se voit écorchée, le célibat n’est pas non plus gage de bonheur. Pourrait en témoigner la revêche Millie (Ansie-St-Martin), ou encore sa colocataire anglaise (Julie McClemens), apparemment affranchie de toutes attaches affectives.

L’environnement scénique se veut-il à l’image des personnages qui y évoluent ? La pièce s’ouvre dans la lumière morne et blême des néons, sans délicatesse. Le brun et le noir dominent dans un environnement vaste et dénudé, accentuant le sentiment de dépression hivernale. Piano, fauteuils et réfrigérateur roulent d’un bout à l‘autre de la scène, modifiant des lieux qui ne retrouvent jamais leur disposition originelle. S’y glissent des esprits tourmentés et confus, confrontés à leurs désirs inassouvis, à leur envie d’être ce qu’ils ne sont pas et marqués par une industrie de l’amour qui carbure aux fantasmes préfabriqués. Entre le cul et le sentiment, les cœurs balancent et les esprits s’échauffent. Or, même ceux qui semblent si sûrs d’eux-mêmes se font rattraper au détour d’un appel, d’un délaissement par l’autre. Et à l’ère du suffixe « -réalité », où chacun aspire à son moment de gloire, l’heure est également aux considérations sur la reconnaissance artistique, sur le clash entre la culture populaire et celle de l’élite.

Cette pièce est certes une comédie puisqu’elle génère son lot de rires libres et francs. Mais ces derniers risquent de carrément tourner au jaune à certains moments. Le portrait dressé par l’auteure, s’il a un ton parfois caricatural, peut aussi coller à la peau de certains spectateurs… Les personnages et leurs péripéties laissent un vague sentiment de déjà-vu qui amoindrissent l’originalité du scénario, mais peut-être dépeignent-ils aussi une facette bien réelle des couples d’aujourd’hui. D’ailleurs, la distribution ne pouvait rendre avec plus de réalisme le portrait de ces trentenaires accablés ; chacun a le parfait physique et l’attitude de l’emploi.

Pièce à succès assuré en raison du sujet traité, « Couche avec moi (c’est l’hiver) » s’inscrit dans la série des portraits mordants de la trentaine québécoise qui se multiplient sur les scènes théâtrales, le petit et le grand écran. Cette génération est décidément en pleine introspection…

23-03-07