Supplémentaire le 8 février à 16h

Dans l’histoire de la télévision apparaît un nouveau « reality show » où la première condamnation à mort en direct se jouera sous les yeux des téléspectateurs. Le public sera témoin du sort conjuré à Oreste pour son matricide, ainsi que du déroulement de son procès médiatisé. Sur la trame de l’histoire tragique des Atrides, ce spectacle offre une vision moderne de la manière dont les médias de masse ont banalisé la tragédie. Jusqu’où iront les émissions de télé-réalité? Les tragédies sont-elles les ancêtres de ces émissions ?

Huit comédiens se prêtent à cette aventure théâtrale : Anne Dorval dans le rôle de l’animatrice de l’émission télévisuelle, Michel Poirier dans le rôle de l'animateur de foule, Isabelle Miquelon dans celui d'Hélène et Olivier Morin dans celui de Pylade. Guillaume Champoux et Louise Cardinal reviennent pour défendre à nouveau leurs rôles d’Oreste et d’Électre, ainsi qu’Albert Millaire dans le rôle de Tyndare et Antoine Durand dans celui de Ménélas, quatre personnages qu’ils ont interprétés dans le spectacle Oreste de Euripide présenté en janvier 2003. Louise Campeau signe le décor, François Barbeau les costumes, Stéfane Richard la musique originale, Martin Labrecque les éclairages, Cybèle et Cyborg la vidéo et Geneviève Lagacé l’assistance à la mise en scène et la régie.

Idée originale et mise en scène
Serge Denoncourt

Avec
Louise Cardinal
Guillaume Champoux
Anne Dorval
Antoine Durand
Albert Millaire
Isabelle Miquelon
Olivier Morin
Michel Poirier

Cycle Oreste, Théâtre de l'Opsis

du 13 janvier au 7 février 2004
La représentation du 28 janvier sera précédée d’une conférence avec Monsieur Jean-Pierre Desaulniers, professeur au département des communications de l’UQAM et anthropologue qui a fait du petit écran sa spécialité. Dès 18h30, nous discuterons des enjeux de la télé-réalité. Coût :10$. Renseignements et réservations : (514) 522-9393.

Voici quelques photos qui ont été rajoutées le 3 février 2004

 

par David Lefebvre

Supplémentaire le 8 février à 16h

Oreste revisité...

Je ne le cache à personne, les récentes émissions de télé-réalité me puent au nez. Je n'aime pas le côté voyeur de la chose, comme si on devait se prouver que notre vie est aussi «plate» que la leur, ou aller chercher ce petit rien qui nous manque dans cette télé pour faire en sorte que notre train-train quotidien soit moins routinier... Mais je ne dénigre pas et respecte ceux et celles qui aiment ce genre d'émissions. Elles doivent répondre à un certain besoin semble-t-il. Quoi qu'il en soit, ce genre d'émission, où il est si facile de s'identifier (puisque ce ne sont pas des big stars mais bien des gens comme nous) pullulent sur les ondes d'à peu près tous les réseaux privés maintenant. Mais la question est : où s'arrêteront ces émissions? Quelles sont les limites? Quand la télé, le cinéma et Internet (avec le suicide de certaines personnes en direct par webcams) banalisent la violence et le sang, il y a de quoi se poser des questions. Les théâtres du temps des Grecs étaient des centres névralgiques où se discutaient des enjeux très modernes : le matricide, le génocide, les guerres, les héros, les rois déchus, les dieux... C'était du théâtre-réalité! On y montrait la vie! Alors, de voir Oreste se transformer en "reality show" n'est pas si bizarre que cela, au contraire. La pièce n'est pas une parodie pour autant, même si on est à la limite. Et je dois vous dire d'emblée que ce fut pour moi une soirée totalement jouissive...

On transpose donc le texte au XXe siècle après Jésus-Christ. On est dans le studio de télé d'À chacun sa vérité (et pour les puristes qui sont «nés» dans ce genre d'endroit et qui pourraient chiâler sur le fait que ça ne ressemble pas du tout à cela, je vous rappelle que nous sommes dans une fiction, au théâtre), premier "reality show" qui demande au public de voter pour une condamnation à mort. Tout, absolument tout, est kitch, du plateau, des fauteuils carrés bleu en passant par les éclairages de l'excellent Martin Labrecque (avec prédominance de blanc éclatant pour les besoins de la caméra, de rose et de vert (ouch) sur les rideaux blanc cassé de chaque côté du décor). Et qu'est-ce qu'il y a dans un studio? Eh oui, un animateur de foule (Michel Poirier) qui joue admirablement bien son rôle jusqu'au bout. Le public est appelé à participer au show, il faut donc bien suivre... Anne Dorval (en grande forme) - qui a déjà joué d'ailleurs dans Électre à l'ESPACE GO) - interprète magnifiquement l'animatrice Julie Desjardins, un mélange de Dr. Phil, Claire Lamarche et d'Oprah. Snob, elle appuie avec ses «hum hum», ses «ah oui» et autres onomatopées ce que les autres disent. Elle dicte aussi, tout au long de la pièce, certaines lignes qui étaient attribuées au personnage de l'esclave, par exemple. Tout est à sa place : le petit reportage avec la reconstitution du meurtre et les photos noir et blanc de la famille, les vox pop, les votes du public... Les Atrides règleront leur compte devant public, en direct, dans le cadre d'un talk-show de style américain. Ce n'est pas Argos qui va décider mais bien les téléspectateurs qui voteront et jugeront Oreste et Électre qui ont vengé leur père en tuant leur mère.

Une des grandes surprises est de voir ce qu'a fait Serge Denoncourt avec les autres personnages tels Hélène de Troie (Isabelle Miquelon), Ménélas (Antoine Durand, plus «crédible», du moins, ayant plus le physique de l'emploi dans ce rôle que le Ménélas qu'il interprétait dans l'autre Oreste), et Tyndare (Albert Millaire). Je ne veux pas vous gâcher la surprise en vous disant de quoi ils ont l'air... mais ils sont vraiment hilarants! Parlons plutôt d'Oreste (Guillaume Champoux) et d'Électre (Louise Cardinal). Le frère semble sortir de l'asile, menotté, et on a transformé les Erinyes par des crises plus réalistes de folie. Électre, qui dit toujours que c'est à cause de(s) Dieu(x) que tout ceci est arrivé (le meurtre de leur mère), possède dans son habillement des liens étroits avec un certain fanatisme religieux... À certains moments, dont celui de l'entrée en scène d'Hélène, on se serait cru sur le plateau de Jerry Springer. Pylade, l'ami d'Oreste, est aussi assez différent. Il y a certains rebondissements au niveau «sexuel» dans l'histoire (l'ami qui ne sait plus ce qu'il deviendra après la disparition d'Oreste, l'embrassade assez suggestive entre le frère et la soeur...). Un vrai show! La caméra qui diffuse ces images sur l'écran géant derrière le plateau suit l'action et fait des gros plans kitch sur les visages, les réactions, les mains... Tout est exagéré : les mimiques, les caractères... et même la cloche (le glas) durant les résultats du vote du public... Et la finale est digne des meilleurs scénarios d'Hollywood (du genre, du moins). Disons que ça dérape et décape...

Il n'y a pas d'Apollon : il est remplacé par nul autre que George Bush, le gardien de la paix et chef du monde, déclarant qu'on va retrouver Sadaam Hussein mort ou vif. Comme le dit le metteur en scène: CNN est le pire show de télé-réalité... On le croit parfaitement.

Serge Denoncourt a heureusement le génie pour mettre en scène une pièce aussi éclatée. Il fallait beaucoup de doigté et d'intelligence pour concevoir un spectacle comme celui-ci, pour le rendre drôle, cynique, prendre en fait un classique tel qu'Oreste et le transposer, sans trop toucher au texte initial (parce que les personnages dictent leurs texte d'origine sans que ce soit déplacé...) dans un monde que l'on connaît parfaitement. Les revendications et les questions de ce spectacle sont claires: est-ce que les pièces de théâtre grecs sont vraiment les ancêtres des télé-réalité? Et maintenant que cette bombe télévisuelle est amorcée, jusqu'où ira-t-on? Une relecture d'Oreste des plus modernes, drôle, énergique... Et pour les puristes, ayez l'esprit un peu ouvert, que diable!