Dans une petite ville russe, Maria Alexanna décide de marier sa fille Zina, une beauté musicienne et fière, au prince Gavrila, riche, mais sénile. Dans les tractations qui s'ensuivent, toutes les commères du village leur déclareront la guerre. Mais le jeune Mazglikoff, qui est amoureux de Zina, terrifié par l'inhumanité de tous, s'enfuit de la ville maudite qui ne connaît que l'hypocrisie et le mensonge.

Déporté en Sybérie pendant quatre ans, Dostoïevski demeurera irrémédiablement marqué. Il a approfondi une grande connaissance de la complexité du comportement humain et trouve dans ses souffrances la matière de son oeuvre à la fois réaliste et mystique. L'auteur des Frères Karamazov et de Crime et châtiment a écrit Le Songe de l'oncle lors de son séjour à St-Pétersbourg en 1859. Cette fable nous est proposée par Igor Ovadis dans un style qu'il qualifie de grotesque élégant et de dentelle théâtrale pour mieux faire ressortir les contrastes et l'ironie de l'auteur.

Ce spectacle marque le 10e anniversaire de la collaboration établie entre le Théâtre Denise-Pelletier et le Conservatoire d'art dramatique de Montréal, qui permet à des finissants de porter à la scène professionnelle une de leurs productions remarquée pour sa qualité.

Texte
Fiodor Dostoïevski

Adaptation théâtrale, traduction et mise en scène
Igor Ovadis

Du Bunker

Du 10 au 28 janvier 2006
Billetterie : 253-8974

 

par David Lefebvre

Le mensonge est le seul privilège qui distingue l'homme de tous les autres organismes. (Dostoïevski)

Considéré comme l'un des plus grands génies de la littérature russe, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski n'aura connu le succès que durant la dernière année de sa vie. Il eut une vie mouvementée : il fréquente un cercle révolutionnaire, se fait arrêter, risque l'exécution et se retrouve finalement en Sibérie pour quatre longues années. Cela le marque à vie, et il développe une grande connaissance de la complexité du comportement humain. Son premier roman, Les Pauvres Gens (1846), connaît un grand succès, mais les livres qui ont tout de suite suivi (le Double (1846), la Logeuse (1847), Nuits blanches (1848) sont incompris ou méprisés du public. Il s'endette, voyage beaucoup et rédige des romans qui deviendront des classiques de la littérature mondiale (Les Frères Karamazov, Humiliés et offensés). Il succombe à une hémorragie à 59 ans.

Débutée comme un texte pour le théâtre puis transformée en roman, Le Songe de l'oncle est l'une des seules oeuvres de Dostoïevski à être comique, presque burlesque.

Dans une petite ville russe, une mère décide de marier sa jolie fille à un prince sénile mais riche. Les commères du village déclarent alors la guerre à cette famille. Le prétendant de la belle, qui tente par tous les moyens d'arrêter cette folie, fait croire au prince qu'il n'a vu tout ceci qu'en songe. Hypocrisie, mensonges, voyant ses chances fondre au soleil, il décide finalement de s'enfuir de cette petite ville absurde.

La tyrannie est une habitude qui se transforme en besoin

Traitée à la manière commedia, avec un côté grotesque mais élégant (comme le dit le metteur en scène), aux costumes blanc cassé, dentelles et visages poudrés, la pièce est un véritable délire, un tourbillon d'une vitesse fulgurante. Malgré ses deux heures sans entracte, les scènes passent sous nos yeux comme l'éclair. Ce n'est pas à l'avantage du récit : précipité, on peut perdre rapidement le fil, soit accessoirement les noms russes des personnages ou plus sérieusement son intérêt pour le récit. Si on n'est pas familier avec Dostoïevski ou ce texte, on peut se sentir facilement désorienté. Nous n'avons malheureusement pas le loisir de savourer pleinement l'humour qui s'en dégage, même parfois adapté au goût du jour, ou d'apprécier les nombreux stratagèmes comiques, les gags visuels. D'un autre côté, aucun temps mort ne vient perturber la pièce. L'adaptation et la mise en scène d'Igor Ovadis ne manque pas d'idées, en commençant par la musique, ici morcelée, de Tchaïkovski, qui vient farcir le spectacle ; les costumes d'une élégance romanesque, le mari bouffon de la mère, qui fait vaguement penser au personnage du lion dans Wizard of Oz... Igor Ovadis interprète d'ailleurs le sympathique oncle-prince-poupée mécanique, qu'on a oublié d'enterrer, avec légèreté et décontraction, un sourire niais en toute circonstance. Les jeunes comédiens(nnes) s'en sortent plutôt bien. À noter, le jeu tragique et soutenu de Monia Chokri dans le rôle de la mère, qui offre la meilleure performance. Les autres comédiens interprètent en général plusieurs rôles : Charles-Olivier Bleau se démarque en professeur et amoureux de la jeune femme, Christian Baril en prétendant sans succès, Evelyne Brochu en femme du colonel, véritable colporteuse de nouvelles, Francesca Barcenas en veuve se cherchant un mari, François Bernier en mari incapable et Anne-Valérie Bouchard et Véronique Pascal en commères du village. Le rôle, pourtant intéressant, de la jeune fille convoitée est campé par Catherine De Léan, qui n'apporte malheureusement que peu de nuances au personnage. Trop fière, trop têtue, automate, elle est finalement pratiquement sans saveur. Le jeu de cette dernière pourrait être plus riche, plus subtil, plus machiavélique, car elle est méchante, ou du moins semble savoir où est son profit.

Des bêtises, des bêtises...

Ce Songe de l'oncle, malgré ses quelques qualités indéniables, ne déclenche pas autant les rires qu'il le devrait. Il aurait été intéressant de voir l'effet d'une mise en scène plus posée, plus vicieuse sur ce texte, à la ressemblance de ces vils personnages qui peuplent le récit. Au moins, ce spectacle permet de donner de l'expérience à ces jeunes acteurs du Conservatoire d'art dramatique de Montréal...

13-01-2006